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De l’écrivain et du maître-chanteur

La chronique littéraire est empreinte d’exemples d’escrocs littéraires, de plagiaires et de mystificateurs qui ont réussi à tromper leur monde et obtenir la reconnaissance de leurs pairs. Certains d’entre eux, démasqués, ont évoqué « l’intertextualité » ou la faute d’un « nègre » pour justifier leur méfait. Mais, lorsque deux journalistes français utilisent l’écriture comme procédé d’extorsion de fonds et le livre comme moyen d’intimidation et de chantage, alors on n’est plus dans la chronique littéraire ; on n’est plus dans le cas d’une faute morale excusable, mais en présence d’un délit grave que réprouve et punit la loi (Article 313-1 du Code pénal).

Le feuilleton à rebondissements que les médias français passent en boucle depuis le 27 août, laisse pantois tant l’affaire qu’il met en scène est sidérante : chantage et tentative d'extorsion de fonds menés de concert par deux personnalités publiques, deux journalistes, contre un Souverain.  

Cette affaire délictueuse débute, en fait, le 23 juillet, comme débuterait un mauvais polar, lorsque l’un des deux journalistes incriminés, Éric Laurent, approche les autorités marocaines pour leur faire part d’un projet d’écriture et leur signifier ses conditions : la non-publication d’un livre à charge contre trois millions d'euros. C’est énorme, grotesque, bête et méchant. Les révélations de Me Dupond-Moretti (avocat du Maroc) et les épisodes qui vont suivre, qui ont pour décorum le Royal Monceau, les locaux de la Brigade de Répression de la Délinquance contre la Personne (BRDP) en disent long sur les intentions  des deux comparses.

Au-delà des questions de fond qu’il serait normal et légitime de poser lorsqu’il s’agit de parler d’un livre, d’un vrai, ce sont les motivations des deux journalistes qui questionnent et suscitent le plus la curiosité.

Comment un journaliste qui a fait ses preuves, peut-il se transformer en vulgaire maître-chanteur ? Est-ce de la cupidité ? Est-ce de l’inconscience animée par la volonté de nuire ? 

Des deux journalistes qui ont tenté de rançonner le Maroc, c’est Éric Laurent qui est le plus à plaindre. Non pas parce qu’il s’est conduit en maître-chanteur de bas étage, mais à cause de son ingratitude. Certes, l’ingratitude ne fait pas partie des sept péchés capitaux tels que Thomas d'Aquin (1225-1274) les conçoit, mais elle rend un homme fragile et incertain ; elle « demande sans peine, reçoit sans pudeur, et oublie sans remords » (1).

A bien des égards, Éric Laurent a fait (dès 2012) preuve d’ingratitude et failli à son devoir de reconnaissance à l’égard du Maroc et de sa Monarchie. Certes. Il s’est trouvé au début de sa carrière, dans différentes régions du monde, en situation privilégiée d’enquêteur et d’intervieweur. Et c’est probablement grâce à cette posture et à la réputation qui en découle (bon intervieweur) qu’il eut le privilège, au début des années 90, d’approcher la Monarchie marocaine. La publication en 1993 d’un livre d’Entretiens avec Feu Hassan II (Mémoire d’un Roi, Paris, Plon) lui assura une certaine notoriété. Mais, ce ne sont pas les qualités d’écrivain ou d’intervieweur qui rayonnent sur ce premier livre. Ce sont plutôt les réponses et les réflexions de Feu Hassan II et sa personnalité qui en assurèrent le succès. Dans ce livre, en effet, le Roi Hassan II passe en revue près de quatre décennies d’un règne (1961 à 1999), jalonné d’événements difficiles (1972-73) et marqué de réalisations décisives à la construction du Maroc moderne : La Marche Verte (1975), les réformes constitutionnelles (92-96), la politique des barrages, l’Alternance politique (1998). Les dessous de la diplomatie internationale, dans ce qu’elle a de complexe et d’essentiel, y sont exposés avec virtuosité.

C’est donc cette proximité avec le Monarque Chérifien, qui allait ouvrir à Éric Laurent de nouveaux horizons d’écriture en 2013 avec la sortie d’un second livre d’Entretiens avec le défunt Roi, sous le titre «Le génie de la modération, réflexions sur les vérités de l'islam». Le voilà désormais dans une position enviable.

Mais, l’ingratitude finit par rattraper le journaliste. En 2012, il change son fusil d’épaule pour coéditer avec Catherine Graciet, celle-là même qui se trouve aujourd’hui à ses côtés, comme complice, dans cette affaire blâmable, un livre hostile au Roi du Maroc. Construit sur un ramassis de mensonges, fait d’affabulations et truffé d’inepties, ce livre ne suscita que l’indifférence. Les deux comparses « ratent » ainsi un « coup » financier qu’ils espéraient juteux.

Venir aujourd’hui réclamer trois millions d'euros au Roi Mohammed VI, contre la non-publication d'un livre à charge, c’est, selon le brillant Éric Dupont-Moretti, avocat du Maroc, «Du jamais vu, c’est d’une audace folle ! ». Mais au-delà de l’incrédulité et de la surprise que suscita leur interpellation à Paris ce 27 août, et du système de défense choisi par leurs avocats qui parlent de « traquenard », la démarche des deux journalistes confirme, si besoin est, le caractère inconséquent de leur premier livre. Cette affaire montre en substance que n’est pas « SPECTRE » qui veut, et n’est pas donneur de leçon qui veut et qu’il est même «dangereux de donner des leçons de morale, de se poser en justicier de la pensée ou de la littérature des autres. Car, tôt ou tard, la réalité vous rattrape et vous ramène à la modestie » (2)

La tentative crapuleuse des deux journalistes s’est bruyamment fracassée contre la réalité (ce qu’ils sont réellement), contre la sérénité et la résolution d’un Souverain Chérifien et contre la volonté d’un pays millénaire qui a choisi le chemin de « révolutions » tranquilles  pour consolider ses acquis et préparer son avenir.  Cette affaire les a révélés sous un jour peu glorieux, celui de vulgaires maîtres-chanteurs. Ce n’est pas la modestie ou l’honnêteté intellectuelle et le génie littéraire qui distinguent leur démarche, mais plutôt la vanité, la cupidité, la supercherie et la recherche du gain facile.

Morale de l’histoire : « Le vaniteux est bas quand il désire, fier dès qu'il espère, et ingrat lorsqu'il obtient » (3).

Notes :

  1. Citation de Charles Pinot Duclos, Considérations sur les mœurs de ce siècle (1751)
  2. Philippe Bilger, magistrat honoraire, ex-avocat général à la cour d'assises de Paris, Article publié le 23 août 2011 (cf. son blog)
  3. Citation de Marie-Jeanne Riccoboni (1713 -1792), Comédienne et romancière française (in. Lettres de Milady Juliette Catesby-1759).

 

Mohammed MRAIZIKA (Docteur en Sciences Sociales, Consultant en Ingénierie Culturelle)